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Note de lecture du livre sur : « Les enjeux et perspectives : diversification économique au Congo-Brazzaville », de Juste Désiré Mondelé

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Note de lecture du livre sur : « Les enjeux et perspectives : diversification économique au Congo-Brazzaville, écrit par Juste Désiré Mondelé, Directeur de la société Congolaise de Manutention des Bois (SOCOMAB.SA), conseiller spécial du Président de la République

Dans sa réflexion sur les enjeux et perspectives économiques du Congo Brazzaville, Juste Désiré Mondelé a voulu rassembler, selon lui, les éléments clés pour l’indispensable diversification économique au Congo– Brazzaville, sous l’intitulé « Diversification économique au Congo-Brazzaville ».

L’intention de l’auteur est de montrer ou de prouver aux lecteurs, au rang desquels l’ensemble des décideurs politiques, que 55 ans après l’indépendance pendant lesquels de nombreuses politiques économiques ont échoué, l’impérieuse nécessité de diversification enfin l’économie congolaise. Cet impératif vise à juguler le syndrome holandais [1] qui frappe le Congo depuis la mise en exploitation de l’or noir.

Un lecteur averti de ce livre en restera malheureusement sur sa faim. A la place des objectifs et surtout des moyens à mettre en œuvre pour assurer une diversification de l’économie, on assiste à une petite compilation ou un glossaire notionnel sur le sujet. Qui plus est sur fond d’une analyse historique complaisante, amnésique, incohérente et truffée de maladresses. On y sort avec l’amertume d’avoir lu un mémoire d’étudiant  de licence ou de maîtrise d’économie publique, en lieu et place d’un livre écrit par un personnage ô combien important de la République du Congo : conseiller spécial du chef de l’Etat, chef du département politique, représentant de l’Etat congolais aux négociations de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et député depuis 2017 ( cf. la 4ème de  couverture du livre).

Néanmoins, comme toute œuvre, on y glane de nombreuses informations utiles à la compréhension de nombreuses problématiques relatives à la gestion économique et politique du Congo-Brazzaville.

A cet effet, plusieurs rappels sur l’énorme potentiel économique du Congo sont décrits : un pays doté de nombreuses ressources minières dont certaines sont en exploitation (les hydrocarbures) et d’autres non encore mises en valeur, des ressources forestières, agro-pastorales ... Ces richesses sont attestées par les différents tableaux retraçant l’évolution des principales variables macroéconomiques (le PIB, le budget, la dette publique, etc.).

Par exemple de 1998 à 2012, le PIB congolais a été multiplié par six, soit une augmentation de 500% en 14 ans seulement (cf. tableau 3 p. 44). Cette dynamique se reflète dans l’augmentation des recettes fiscales de plus de 500 %, pendant la même période. Ces augmentations exceptionnelles, quasi exponentielles sont essentiellement dues aux recettes d’exportation de pétrole brut, lequel contribue à hauteur de 90 % du total des exportations congolaises (cf. doc 4 p. 48) et à plus de 80 % des recettes de l’Etat Congolais (cf. graphique 3 p. 46). Ces chiffres font du Congo un pays budgétairement tributaire de la ressource pétrolière, très fragile, car sa bonne marche est intimement liée à l’évolution des cours de l’or noir.

L’auteur relève par ailleurs la faiblesse des autres secteurs de l’économie, lesquels n’ont peu ou prou pas fait l’objet d’aucune attention ou politique publique particulière. Il relève entre autres tares l’inefficacité du secteur bancaire, qui au passage s’est prétendument trouvé en situation de surliquidité alors que celui privé domestique manque de capitaux pour financer ses projets.

Il souligne timidement l’inorganisation des rouages de l’appareil administratif de l’Etat congolais. La situation de la dette congolaise est esquissée tant soit peu, même si les données en la matière sont loin d’être sincères. En bon keynésien, dirait–on, l’auteur minimise la portée de l’effet boule de neige qu’une telle situation peut entraîner. Ce, malgré la crise et les contraintes liées à l’accumulation de la dette des années 1980 ayant entraîné l’application des programmes d’ajustement structurel (PAS) et les discussions houleuses engagées actuellement avec le fonds monétaire international (FMI). La dette publique évoquée ici dépasse largement les 95 % du PIB hors pétrole : un ratio déséquilibré et dangereux, reconnaît l’auteur.

Deux  facteurs  essentiels seraient à la base de cette dépendance, selon l’auteur. Dans une phraséologie purement économique qu’on  attribue à l’inefficacité des politiques économiques adoptées depuis la colonisation au rang desquelles les stratégies et modèles de développement inspirés par les analyses en termes de dépendance (E. Arghiri) et de domination d’industries industrialisantes, ou d’ économie autocentrée et autodynamique, substitutions des importations ( F.H Cardosso).  Puis au prolongement de cette  première catégorie des programmes d’ajustement exigés par les bailleurs de fonds internationaux au lendemain des crises de surendettement de ces mêmes pays en développement. La deuxième catégorie de raisons est d’ordre politique, car l’auteur relève avec raison, en partie néanmoins, que la série des errements remonte à l’adoption du parti unique avec pour principe idéologique le socialisme bantou, suivi de celui scientifique inféodé au marxisme léninisme.

Au titre des perspectives, point central du livre, notre conseiller spécial, Monsieur Mondelé, fort de sa connaissance des rouages et des insuffisances de l’économie congolaise, ne se montre pas si ingénieux dans les propositions indispensables pour sortir le pays du marasme dans lequel il est plongé, et prévenir la mort programmée si les structures demeurent en l’état encore pendant quelque moment.

Ainsi, on y trouve la description d’une des stratégies économiques de diversification déjà mise en place par le gouvernement depuis 2009. En effet, des zones économiques spéciales (ZES) sont programmées, comme dans la pétrochimie et dans les mines, à Pointe Noire, dans les services financiers, le commerce, le transport et l'hôtellerie à Brazzaville, la ZES consacrée à l’agriculture et à l’Industrie agro-alimentaire, basée à Oyo et Ollombo et la ZES dédiée à la foresterie et à l’écotourisme à Ouesso (cf. p 148). Ce dernier exemple a le mérite d’être le seul projet concret. La finalité de cette politique étant de mettre en place des dispositifs fiscaux et douaniers avantageux afin d’attirer les investissements, et particulièrement les investissements directs étrangers (IDE), selon le souhait des dirigeants actuels.

Dans le prolongement de cette action, M. Mondelé annonce, à travers une section du livre, la démarche et les stratégies de diversification des activités économiques applicables au Congo, pour sortir celui-ci de la dépendance et surtout de la débâcle économique dans laquelle il est plongé. Malheureusement, le lecteur sera encore surpris de voir la part belle qui est faite aux définitions des notions et mécanismes théoriques sur la diversification des activités économiques. Par exemple l’importance du capital humain comme enjeu de la diversification économique, car il relève un déficit de capital humain hautement qualifié permettant d’assurer le fonctionnement des processus productifs complexes dans les branches d’activités de hautes technologies, conséquence du système éducatif congolais qui prépare surtout les cadres dans les domaines des sciences sociales.

 Il note par ailleurs d’autres domaines pour lesquels des efforts doivent être fournis afin de relever le défi de la diversification, parmi lesquels : l’importance du renforcement des capacités administratives et institutionnelles, la décentralisation comme tremplin pour développer certaines grappes choisies dans la stratégie de diversification ou la préservation d’un environnement politique et juridique favorable à la diversification. Bref, il ne trouve pas urgent de redéfinir le cadre institutionnel propice à la mise en place des intentions citées précédemment. Satisfait de ce cadre institutionnel, il souligne l’exigence d’assurer la paix et la sécurité sur tout le territoire national et appelle de ses vœux la démocratie et la bonne gouvernance. L’apport de l’intégration économique sous régionale dans l’extension du marché est à peine évoqué, alors même que l’auteur reconnaît que le marché intérieur congolais est petit voire nain (p. 192). Il relève que de nombreuses observations empiriques indiquent un taux d’investissement privé (en pour cent du PIB) bien au Congo Brazzaville que dans les autres pays de la zone Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC). Ces constats et intentions nécessitent une réelle volonté politique et une mise en œuvre effective des politiques publiques, assène-t-il.

Pour financer son non programme, l’auteur mise sur la « légendaire » gentillesse des bailleurs de fonds internationaux si ce n’est l’espoir de gager davantage les puits de pétroles. Une opération maintes fois utilisée par l’Etat congolais sans que ce livre n’en fasse mention.

Bref, de nombreux atouts restent des vœux pieux, sauf le pétrole et le bois qui sont exploitées abondamment, mais qui sont paradoxalement responsables des grands déséquilibres macroéconomiques que connaît le pays aujourd’hui.  Autant, dire que le travail de JD MONDELE est à coup sûr un rappel aux dirigeants de Brazzaville de la nécessité de diversifier l’économie, sans atteindre son objectif, celui de contribuer au débat nécessaire à la diversification de l’économie congolaise sans laquelle le retour aux conditions préhistoriques pour la majorité des congolais n’est plus pour longtemps.   

A travers cette production, sans accorder une importance toute particulière à ces écrits, on peut avoir un aperçu des difficultés auxquelles est confronté un pays comme le Congo. Si de manière générale les réflexions sont menées avec un manque de recul et une méconnaissance des rouages internes du pays, la situation congolaise illustre bien cet amateurisme. Cette lecture nous amène à faire des observations sur quelques éléments de présentation de l’état des lieux et sur les perspectives imaginées de l’auteur.

Un fait devenu une constante singulière dans l’histoire très récente écrite par les autorités congolaises, reprise par les intellectuels affiliés au pouvoir politique depuis les années 1970, c’est la volonté commune d’éradiquer toutes les actions positives menées par les gouvernements antérieurs à l’avènement au pouvoir de M. Sassou Nguesso. Cette trace apparaît bien évidement dans cette contribution. Est-ce un fait volontaire ou une simple méconnaissance ?  

Il est curieux que, dans un travail sur la diversification des activités économiques au Congo, la description de l’appareil économique au sortir des années 1970 ne puisse pas avoir une place conséquente dans ce travail. Car un embryon d’une économie diversifiée a été mis en place par le colon, poursuivi par les gouvernements de M. Massamba Débat. Cette structure de l’économie congolaise s’appuyait sur les potentiels construits et naturels du Congo. Ainsi, les régions de la Bouenza et du Niari non forestière furent des sièges du complexe agro-industriel, avec SOSUNIARI et la SIAN au cœur du dispositif. Ces implantations ont été favorisées par des conditions pédologiques, par un climat à deux saisons pluvieuses, qui permet une double récolte, par la forte densité de sa population, d’où des rendements très élevés de la culture d’arachides, de la canne à sucre, du coton, de la tomate et de l’oignon. Ces cultures se faisaient déjà dans des plantations rationnellement conçues, qui avoisinaient avec des ranchs (de la Luamba, un peu plus tard de la Mouindi) où étaient élevées des races de bovins résistant à la trypanosomiase. Pendant longtemps ces cultures ont été mécanisées, comme dans la région des plateaux. On comprend pourquoi, la minoterie et aliment de bétail était construite à JACOB – NKAYI -  et non à POINTE NOIRE, comme c’est le cas depuis la délocalisation de cette unité de production dans les année 1990 sous la présidence de Sassou I.

Parler de la diversification, c’est également revenir entre autres réalisations, aux plantations du cacao et café respectivement dans la Sangha et la Lékoumou en particulier. Que dire du grand verger congolais de Boko à kimbédi. En matière de pêche continentale, insuffisamment développée, tout gouvernement devrait éviter de s’aventurer à créer d’autres installations ailleurs qu’à Mossaka. Car cette dernière localité assure au pays un point de ravitaillement à la fois des produits de pêche de l’intérieur du Congo-Brazzaville, du côté de l’Oubangui et de la RDC. Cette vocation est associée à celle du transit. Mossaka est géographiquement et historiquement le point anguleux propice à l’édification à la fois d’un port de pêche et de transit des marchandises et des voyageurs. Il sied de rappeler aux jeunes générations que le Congo avait de nombreuses petites industries agroalimentaires disséminées à travers le pays : les unités de torréfaction du paddy à Mossendjo, Kindamba, Ewo ; des huileries à Mokéko, Etoumbi, Komono et Sibiti… Faut-il rappeler à l’auteur que le Congo fut producteur du tabac, principalement dans les districts de Lékana, Zanaga et Komono. Que dire encore d’un train spécial du CFCO baptisé « Air–Pool » affrété spécialement pour approvisionner la capitale des produits vivriers de la Bouenza et du Pool ?

Il eût été judicieux d’amorcer cette diversification pendant la grande période des excédents budgétaires. Les autorités congolaises vivaient elles dans un autre monde. N’avaient-elles pas entendu que les autorités ivoiriennes pour assurer la paix dans leur pays, finançaient la reconversion des jeunes oisifs, ex soldats des différents camps de guerre, en exploitant des plantations de cacao. Que cette expérience avait déjà été pratiquée au Congo Brazzaville du temps de l’ARR. [2] Les anciens combattants étaient envoyés à MBILA KOMONO pour récolter le café au sortir des crises politiques de Brazzaville en 1968. L’exercice avait été renouvelé du temps de Marien Ngouabi en 1972 à la suite de la grève des étudiants. Ces derniers étaient envoyés à NKAYI pour couper la canne à sucre.

Il ne peut y avoir de diversification de l’économie congolaise sans passer par le renouvellement de ces expériences encourageantes et compatibles avec ces conditions physiques et naturelles de nos régions. Ce n’est que par la suite que ces réussites pourraient être étendues à d’autres régions. Point besoin de jouer à la concussion. La géographie des zones spéciales mis en place par le gouvernement actuel rapportées par l’auteur n’obéit à aucune logique économique si ce n’est qu’à la logique fallacieuse de rééquilibrage.

Difficile de comprendre que l’auteur qui analyse la situation du Congo en vue d’une diversification des activités économiques ne s’étonne guère de l’écart entre la richesse produite et le niveau de vie de la population actuelle (une multiplication par 6 du PIB congolais, soit un accroissement de 500%, pendant que l’augmentation de la population congolaise était de l’ordre de 15%). Cet écart aurait conduit théoriquement à une augmentation significative du niveau de vie réel de chaque habitant.  La réalité montre que celui-ci a baissé très fortement pour la très grande majorité des Congolais et on note particulièrement une forte paupérisation urbaine. Que par ailleurs, toutes les orientations et actions prises ces dernières décennies ont aussi paradoxalement que cela puisse paraître conduit à une dégradation considérable des grands services publics (l’éducation et la santé), un endettement sans commune mesure, constituant la base même du développement économique en général et de sa diversification en particulier.

L’auteur et surtout notre conseiller gagnerait à lire l’article de Jean Chrios Moukala intitulé : l’ultime nécessité d’une approche endogène [3] .

Cet article est une contribution qui répond au mieux à l’impératif de diversification afin de sortir de la dépendance mono exportatrice s’inscrivant dans la mouvance des théories du développement en termes de dépendance et de domination. Ce plaidoyer pour l’avenir envisagerait d’explorer concrètement, les moyens d’action susceptibles de permettre l’amorce d’un processus de développement économique endogène. A cet effet, cette nouvelle approche se donne pour objectifs principaux : une nouvelle priorité au développement rural (agriculture, vivrière, pêche et élevage), la mécanisation des processus de production qui suppose la multiplication des sources de production d’énergie, à l’instar des mini barrages hydroélectriques. Les nouveaux objectifs de cette approche endogène ne peuvent se réaliser que si l’entrepreneuriat populaire est encouragé et doublé par la mise en place d’une structure de microfinance pour répondre aux besoins de ce secteur si particulier.

Au regard des modèles et stratégies de développement économiques passés ou en cours, la nouvelle approche qu’appelle de ses vœux Jean Chrios Moukala n’est ni l’étatisme, ni l’ultra-libéralisme conseillé par la Banque Mondiale et le FMI. L’approche endogène prône la nécessité d’un meilleur équilibre Etat/ marché, tout en ne niant ni l’importance du premier, ni les bienfaits de la libéralisation prônée par le consensus de Washington.

La situation d'un pays qui en est aux abois dans la laquelle se trouve le Congo aujourd'hui recommande une multiplication des contributions pour enrichir le débat. La contribution de M. Mondelé doit, me semble-t-il, être prise à sa juste valeur sans en donner une toute autre dimension. Elle est loin de constituer un fil conducteur d’un quelconque programme de gouvernement, même si elle essaie de justifier les choix gouvernementaux en la matière, et surtout peut permettre au lecteur de s’interroger sur la qualité des conseillers du Président de la République. Le Congo chanté par nos illustres artistes [4] est un beau, grand pays par sa géographie, son histoire et la diversité de ses enfants, en proie certes à de nombreuses difficultés existera toujours bien après le règne de Sassou. Il est inconcevable de faire table rase de son passé assez riche comme le fait notre auteur. Le Congo a eu un embryon d’un appareil économique assez diversifié, jusqu’ à la fin des années 1970. La gestion hasardeuse de ces quatre dernières décennies a rendu le pays dépendant de la seule ressource, le pétrole.

[1]  Syndrome hollandais, ou encore malédiction des matières premières est un phénomène économique qui relie l'exploitation de ressources naturelles au déclin de l'industrie manufacturière locale.

[2] ARR : Action Révolutionnaire et Rurale, mise en place en 1968 pour démobiliser les milices de Brazzaville…

[3] J. Chrios Moukala, Maître assistant à l’université Marien Ngouabi, article paru dans le livre collectif du Réseau Congo 21 ; Le Congo–Brazzaville à l’aube du XXI siècle.

[4] Pamelo Mbemba Mounka, Moutouari Kosmos, Mwana Moukamba, Loubelo…

Mesmin GOUANANGA

Professeur de sciences économiques et sociales

Académie de Rennes France.

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