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Constitution disparus du Beach

musikanda
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Un spectre hante Sassou : le spectre des disparus du Beach. Tremblant de peur à la seule évocation de la CPI, Sassou vient de dévoiler sa véritable face : celle d’un tigre en papier qui croit pouvoir échapper à son destin en s’abritant derrière un texte sans équivalent dans le monde, et pour cause : il absous par avance les crimes passés et à venir d’un homme au prétexte qu’il va s’autoproclamer chef d’Etat.  Pire, Sassou avoue ses crimes et force les Congolais, en truquant leur vote, à être ses victimes et ses complices.

Sassou a peur. Peur de finir dans une cellule de La Haye où il craint de devoir répondre de ses crimes face à ses juges. C’est l’unique raison pour laquelle il procède à la modification de sa constitution. Le plus incroyable, c’est qu’il n’a même pas honte de l’annoncer aussi clairement dans ce désormais célèbre article 96 qui stipule qu «Aucune poursuite pour des faits qualifiés crime ou délit ou pour manquement grave à ses devoirs commis à l’occasion de l’exercice de sa fonction ne peut plus être exercée contre le Président de la République après la cessation de ses fonctions. La violation des dispositions ci-dessus constitue le crime de forfaiture ou de haute trahison conformément à la loi. » 

Pas chien, et une fois à l’abri, Sassou n’oublie pas ses serviteurs aux mains maculées de sang. Il leur a concocté aux petits oignons un petit article sur mesure. C’est le fameux article 10 qui annonce que «Sauf en cas de perte ou de déchéance de la nationalité, aucun citoyen congolais ne peut être ni extradé, ni livré à une puissance ou organisation étrangère, pour quelque motif que ce soit.» Par citoyen congolais, comprenez Ndéngué, Dabira et autres cobras bourreaux des suppliciés du Beach.

Le changement de la constitution n’a pas d’autre but donc que celui d’inscrire dans le marbre l’immunité qui leur garantira de vivre à l’abri de toutes poursuites judiciaires une fois virés du pouvoir, en espérant que d’ici les deux mandats de 5 ans qu’il veut s’attribuer, ils mourront tous de leur plus belle mort dans leur lit. Près de 20 ans après, les disparus du Beach continuent à hanter les nuits de Sassou et de ses tueurs de masse au point d’inventer tout ce qu’ils peuvent pour s’en protéger.

Ces braves criminels sont certes de monstres de cynisme, mais ce sont aussi de gros naïfs stupides enfermés dans leurs illusions. La constitution, comme ils nous en donnent la preuve en ce moment, peut être modifiée n’importe quand, selon le bon vouloir des hommes au pouvoir. A moins de croire qu’ils seront morts ou encore au pouvoir en 2026, rien n’interdit à celui qui leur succédera de jeter  leur constitution faussement protectrice et ses filets articles 10 et 91 à la poubelle, avant de traîner les tortionnaires encore en vie devant les tribunaux.

Les opposants au régime actuel ont raison de rappeler que 32 ans, ça suffit. Mais il est également salutaire et important de dénoncer auprès des Congolais l’unique raison  qui justifie pour Sassou sa volonté de se cramponner au pouvoir : la trouille de la cour pénale internationale, qu’il mérite pleinement.

N’ayant rien à perdre, cet homme et ses dignitaires aux abois sont capables de tout pour se soustraire à la justice pénale. Nous pouvons leur faire confiance pour tirer dans le tas et laisser sur le goudron des milliers de cadavres pour se maintenir au pouvoir à tout prix. Dans ce sens, je peux comprendre la prudence des chefs de l’opposition soucieux de canaliser l’énergie des Congolais prêts à en découdre pour mettre un terme à 18 ans d’humiliation. 18 ans d’humiliation durant lesquels le clan Sassou et ses serviteurs qui ont fait main basse sur toute l’économie du pays exhibent dédaigneusement le fruit de leur rapine à un peuple réduit à la misère.

Le piège est redoutable pour les leaders de l’opposition. S’ils sont trop prudents, nous les accuserons forcément de mollesse face au dictateur. Et des mobilisations  trop menaçantes sont l’occasion que guette le pouvoir pour mater sévèrement les opposants et emprisonner leurs leaders sous prétexte de trouble à l’ordre public. Redoutable piège auquel nous devons nous soustraire absolument.

Pour avoir trop longtemps laissé le champ libre au dictateur d’asseoir son régime, l’opposition risque de payer cher aujourd’hui l’absence de vision stratégique dans sa conquête du pouvoir. La question - cruciale - qui se pose à nous actuellement est à la fois simple et compliquée : comment nous débarrasser de Sassou tout en étant extrêmement soucieux de sauvegarder des vies humaines, contrairement à l’autre ? C’est le défi que les chefs de l’opposition sont appelés à relever dans les deux semaines à venir si Sassou ne retire pas son projet, ou dans les mois et années à venir si malgré tout il réussit à se maintenir au pouvoir. Ne lâchons pas la pression. Dans ce dernier cas, préparons-nous à la mise en place d’opérations de harcèlement sans fin, à une véritable guérilla qui lui pourrira la vie aussi durement que les âmes des disparus du Beauch auxquels Sassou dédie malgré lui sa nouvelle constitution. La peur doit changer de camp. Notre survie à tous en dépend.

Musi Kanda

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