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UDR-MWINDA : l’affaire Dihoulou

politique
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Tribune libre

Brazzaville

Véritable crise ou tempête dans un verre d’eau ? Depuis quelques semaines le parti créé par le Président André Ntsatouabantou Milongo est de nouveau agité par des mouvements divers, où les uns et les autres s‘excommunient mutuellement. Voici notre enquête.

Depuis près de quinze mois, l’UDR-MWINDA fait face à une tentative de déstabilisation interne fomentée par des responsables du parti. Après la gifle électorale reçue en 2017, ces mutins ont relancé leur offensive dont le but est d’intégrer l’UDR-MWINDA dans l’opposition parlementaire que Pascal Tsaty Mabiala dirige. Leurs manœuvres illégales ont échoué. Force est restée à la loi. Jusqu’à la prochaine bataille ? Récit en trois chapitres.

L’humiliation électorale de 2017

 Dimanche 16 juillet 2017, 20 heures. Les élections législatives et municipales viennent de s’achever. Le président de ce bureau de vote de Bacongo donne les résultats du scrutin local. « UDR-MWINDA : zéro voix ». Rires moqueurs dans la salle. Comme dans d’autres bureaux de l’arrondissement. Comme partout sur le territoire national, dans les villes où l’UDR-MWINDA, aile Dihoulou, a présenté des candidats. Les résultats sont catastrophiques, la gifle monumentale. Le parti créé par le Président André Milongo, qui a dirigé l’Etat, est distancé même par des associations politiques à peine nées. Les électeurs ont sévèrement sanctionné les dissidents du parti menés par le secrétaire général Paul Dihoulou. Si dans les bureaux de vote les ricanements continuent de plus belle, tristesse, honte et consternation règnent chez Paul Dihoulou et ses amis, que cette véritable humiliation a laissé sans voix. D’autant plus que les premières tendances des résultats des législatives sont aussi cruelles. Tous les candidats du parti sont éliminés. La chute est dure.

Quelques mois plus tôt, un groupe restreint, en majorité des responsables du parti, a entamé clandestinement la préparation du putsch contre la direction et surtout le président Guy Romain Kinfoussia. On y trouve entre autres le secrétaire général Paul Dihoulou, le président de la fédération de Brazzaville, le président de la section de Bacongo, un membre de la Commission nationale d’évaluation et de contrôle du Parti (CNECP) ainsi qu’un homme d’affaires désireux de se lancer en politique.

Une dizaine de rencontres auront lieu, dont au moins quatre au domicile de Dihoulou. L’argument principal sinon unique qui tient lieu de doctrine est de « mettre un terme au radicalisme politique et la pratique de la chaise vide ». En clair, cela signifie se rapprocher du pouvoir. Fin mai, lors d’une réunion extraordinaire du Conseil national du parti le président Kinfoussia est mis en minorité. Les mutins rejettent aussitôt le mot d’ordre de boycott des élections de 2017, pourtant unanimement décidé par le FROCAD et la Fédération de l’opposition congolaise dont l’UDR-MWINDA est l’un des membres fondateurs. Ironie du sort, un des meneurs est porte-parole…du FROCAD !

Cette étape franchie, Paul Dihoulou et son groupe se lancent dans la bataille électorale à la surprise générale des militants de base. Les paroles mielleuses de présumés soutiens les bercent d’illusions. La victoire est sûre et certaine, selon ces conseillers. Les principaux meneurs sont candidats à la députation. Mais, dès le début de la campagne, des questions se posent quant aux moyens financiers dont semble disposer le groupe Dihoulou. Le code électoral a été modifié.  La caution obligatoire, non remboursable que tout candidat aux législativesdoit verser passe à 1,5 million de francs pour le candidat titulaire et 500 000 francs pour le suppléant. Sans oublier 25 000 francs (casier judiciaire et certificat de nationalité spéciaux) et 100 000 francs pour l’attestation de moralité fiscale. Soit près de 2,3 millions de francs à déposer pour les législatives. Les candidats tête de liste aux scrutins locaux doivent verser 500 000 francs sans compter les autres frais annexes.

Comme partout ailleurs en Afrique les cotisations des adhérents ne font pas vivre un parti au Congo. A moins d’intégrer une plateforme au pouvoir, les dirigeants sont obligés de financer les activités sur fonds propres ou de faire appel à de généreux donateurs. Ces responsables sont retraités pour la plupart et cumulent d’importants retards (12 mois en septembre 2018). L’UDR-MWINDA n’étant pas un parti financièrement riche, l’on s’interroge dès lors sur l’origine de cette manne providentielle qui a permis aux mutins de présenter autant de candidats. Un cadre d’un organisme bancaire du Congo, qui a requis l’anonymat, a révélé l’un des circuits utilisés dans le financement du groupe Dihoulou : « Les fonds sont débloqués à Brazzaville au siège social d’une grande banque. Ils sont envoyés au plus haut représentant de l’Etat dans un département. Un ex-agent du Trésor vient les récupérer et les remet au chef du groupe. La somme transmise lors de cette première transaction était de 65 millions de francs environ. » D’autres sources concordantes font le même témoignage.

Cet argent n’a pas été correctement redistribué. Tandis que le train de vie de certains responsables du groupe Dihoulou change du jour au lendemain, les militants de base sont obligés de battre campagne avec de très faibles moyens. L’un d’eux, très en colère, nous a avoué avoir abandonné son poste de délégué du parti dans un bureau de vote. Il n’a reçu que 5000 francs alors que d’autres partis donnaient entre 15 et 20 000 francs à leurs délégués. Ceci expliquant cela, au terme d’une campagne terne, inaudible, presque clandestine le verdict tombe : zéro député, zéro conseiller municipal ou départemental, zéro sénateur !

Une signature controversée

 La loi sur les partis politiques de l’opposition a été publiée le 21 juillet 2017. Elle crée la fonction de chef de l’opposition. Fin décembre de la même année, Pascal Tsaty Mabiala est nommé à la tête de l’Opposition parlementaire par décret présidentiel. Une fonction dont rêvait sans doute le secrétaire général de l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS), lui qui disait à qui voulait l’entendre que « l’opposition n’est pas à reconstruire, elle est à construire ». Selon lui, la réorganisation de l’opposition est la résultante des échecs essuyés par les différentes plateformes de cette famille politique lors du combat pour le respect de l’ordre constitutionnel en 2015, et même par le passé. Il ajoute : « Le moment est arrivé de remettre en confiance le peuple congolais qui a trop souffert de notre incapacité à influer sur le cours des évènements à travers une organisation crédible ».

Trois mois de travail avec d’autres compatriotes seront nécessaires pour rédiger le « Mémorandum de l’Opposition parlementaire », document de cinq pages non rendu public et dont seuls les têtes de chapitres sont connus : mise en place d’une gouvernance électorale, restauration de l’Etat de droit à travers la décrispation de la situation politique et le respect des libertés publiques, mise en place effective de la gouvernance administrative et territoriale, résolution définitive de la crise du Pool, mise en place d’une gouvernance socioéconomique et financière, conclusion d’un Pacte républicain. Ce texte est signé par onze partis le 23 juin au Palais des Congrès, Joseph Kignoumbi Kia Mboungou pourtant appelé ayant refusé de s’associer à la démarche.

« La récréation est finie » : absent de la scène politique nationale depuis sa déroute aux élections de 2017, Paul Dihoulou réapparaît. Des médias complaisants – ou complices ? – relaient les raisons de son silence où il se donne le beau rôle. Il fallait d’abord faire inscrire l’UDR-MWINDA sur la liste des partis reconnus par le ministère de l’Intérieur. Un parti dont le fondateur a dirigé l’Etat. Un parti qui existe et fonctionne depuis 25 ans. Les dispositions de la nouvelle loi ne le concernent pas. La loi n’étant pas rétroactive, elle ne peut s’appliquer qu’aux partis à créer. Content de lui cependant, Paul Dihoulou jubile : « Le fruit de ce combat est arrivé, nous devons le savourer ». Dihoulou signe donc le Mémorandum. Sans en avoir reçu mandat. Il est accompagné de trois de ses amis.

Paul Dihoulou pense avoir réussi son coup en intégrant l’opposition parlementaire. Mais des doutes naissent sur sa sincérité et la nature des promesses politiques faites aux « mutins » pour qu’ils acceptent de sauter le pas. Il se murmure qu’en plus desdites promesses et comme lors du transfert d’un joueur de football, une prime à la signature de deux millions de francs aurait été accordée au chef du groupe et à chacun de ses amis.

Alors que la direction légale de l’UDR-MWINDA avait laissé les rebelles se lancer dans l’aventure suicidaire de 2017, cette fois-ci la riposte est immédiate : une semaine à peine après la signature du Mémorandum, le Bureau politique légal suspend Paul Dihoulou et ses acolytes et demande à la Commission nationale d’évaluation et de contrôle du parti (CNECP) de les sanctionner dans les quarante-cinq jours suivant sa saisine.

Le groupe Dihoulou tente de riposter en organisant en urgence une réunion de ce qui reste du Conseil national du Parti, en absence du président de cet organe. Le 8 septembre, une trentaine de délégués de tout le pays, acheminés tous frais payés, décident la radiation de Guy Romain Kinfoussia, en violation des textes fondamentaux. En outre, ce Conseil valide la signature du Mémorandum par Dihoulou. Le communiqué final note que « l’UDR-MWINDA a adhéré (!) au Mémorandum après consultation de tous les membres du bureau politique, notamment les présidents des fédérations du parti, sans avoir attendu l’aval de qui que ce soit ». Un acte illégal qui tente de légaliser une signature illégale. Mais peine perdue, le 15 septembre 2018 la CNECP annonce sa décision : « Pour avoir engagé le Parti sans en avoir reçu mandat, les intéressés ont commis une faute grave dont la sanction est la suspension ou la radiation (cf article 119 du règlement intérieur du Parti) ».

La légèreté de Pascal Tsaty Mabiala

 Un observateur avisé de la vie politique congolaise nous confie : « Si le chef de l’opposition parlementaire avait été vigilant et rigoureux cette affaire Dihoulou n’existerait pas. Dès le début Tsaty Mabiala aurait refusé la signature du secrétaire général d’un parti, non mandaté, alors que le président de ce parti est toujours en fonction. Tous les autres partis signataires étaient représentés par leur président ».

Selon cet observateur, cette règle fondamentale existe même au niveau de l’Etat et elle est rappelée dans toutes les Constitutions. Dans le texte de la Constitution de 2015 deux articles en font mention. L’article 217 dit : « Le Président de la République négocie, signe et ratifie les traités et accords internationaux (…). ». L’article 220 stipule : « A l’exception du Président de la République et du ministre des affaires étrangères, tout représentant de l’Etat doit, pour l’adoption ou l’authentification d’un engagement international produire les pleins pouvoirs ».  Notre interlocuteur ajoute : « Pour mettre fin à la polémique, Paul Dihoulou devrait rendre publics son mandat et le nom de l’autorité supérieure de son parti qui lui a remis le document ».

Notre ami poursuit : « Pascal Tsaty Mabiala est un homme intelligent qui sait tenir compte des rapports de force ». Peut-être a-t-il été obligé d’accepter la signature de Dihoulou, malgré son illégalité. Car elle cadre avec ses ambitions politiques. Il voudrait réunir sous sa direction trois des quatre grands partis qui dominent la scène politique congolaise depuis la Conférence nationale souveraine. « Quand un parti comme l’UDR-MWINDA, qui est un vieux parti, s’ajoute à cette famille nous en sommes que très heureux. Nous ne gagnerons cette bataille que si nous avons des partis forts qui viennent pour renforcer le travail que nous avons commencé à faire » dit-il. Le chef de l’opposition officielle affiche ainsi sa satisfaction et « espère que cet engagement solennel librement consenti » convaincra d’autres partis de rejoindre le grand rassemblement en cours de formation dont il ambitionne de faire un tremplin pour conquérir le pouvoir à court terme, « deux ou trois ans ». Leader (incontesté ?) de l’opposition choisie il serait le candidat naturel de celle-ci à la future élection présidentielle de 2021.

Mais ce scénario idéal pour lui peut changer dans les mois ou les années à venir. Des frictions et des tensions apparaissent déjà non seulement dans l’UPADS mais aussi au sein de l’opposition parlementaire ou de l’opposition dite « modérée. Et s’il entrait dans un gouvernement d’union nationale, il ne devra pas ignorer les pièges contenus dans la loi de juillet 2017. Celle-ci a introduit des dispositions diaboliques. Article 5 : « Tout parti politique ou groupement de partis politiques appartenant à l’opposition peut accepter de faire partie du gouvernement. La présence d’un opposant au gouvernement l’astreint à la solidarité gouvernementale ». L’article 10 impose « le strict respect de toute interdiction motivée de réunions ou de manifestations publiques faites par l’administration, conformément aux lois et règlements en vigueur ». Voila qui est clair. Faisant partie d’un gouvernement dans lequel un ou plusieurs de leurs membres siègeraient, trois des grands partis du pays seraient réduits au silence !

Après avoir déblayé le terrain en muselant l’opposition, Pascal Tsaty Mabiala court le risque de se retrouver les mains vides. N’est-il pas à son corps défendant le jouet de certains hommes politiques adeptes de la devise « diviser pour mieux régner » pour se maintenir au pouvoir coûte que coûte ? La majorité présidentielle le déborde lentement mais sûrement. Sans scrupule celle-ci récupère la plupart des thèmes défendus par l’opposition, notamment la lutte contre les antivaleurs que les nouveaux convertis chantent à longueur de journée. Mais, aucun de ces politiciens zélés ne demande ouvertement la libération sans conditions de tous les prisonniers politiques, ni la tenue d’un véritable dialogue national inclusif sous l’égide de la communauté internationale. Cependant, dans des cercles très fermés de Brazzaville et d’ailleurs, la nécessité d’un changement radical de la gouvernance politique et économique gagne du terrain. Avec d’autres acteurs ?

Quant à Paul Dihoulou et son groupe, de plus en plus isolés, ils essaient de surnager en usant maladroitement de mensonges, contre-vérités, provocations de cour d’école. Certes ils obtiendront par le circuit habituel les moyens financiers pour réunir un Conseil national illégitime qui organisera un Congrès illégitime. Lequel élira un président illégitime déjà choisi comme au temps du monopartisme. Certes, les mêmes prétendus soutiens les aideront à remplir les salles de « militants » pour donner de belles images dans les médias complaisants. Mais pour quel résultat ? La carte Dihoulou étant dévaluée, une autre offensive contre l’UDR-MWINDA n’est pas à exclure, menée par de nouveaux assaillants internes ou externes.

Paul Dihoulou est victime de la malédiction des secrétaires généraux de l’UDR-MWINDA disparus dans les ténèbres politiques. Ces militants pressés ont écouté les sirènes du pouvoir et essayé de balayer d’un revers de main les nobles principes édictés par André Milongo. Principes dont chacun peut librement s’inspirer ou critiquer dans n’importe quelle structure, y compris dans un autre parti. Même s’il n’en a pas physiquement connu l’auteur. A-t-on besoin d’avoir connu Dieu pour respecter les Dix Commandements ?

Anne-Marie Loutaya Louniongo  

 © Journal Mwinda – Octobre 2018

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