24
Mer, Avr
0 Nouveaux articles

« Blague à part, toute vérité est bonne à dire », le nouveau livre de B. Moundélé Ngolo

lu pour vous
Typography
  • Smaller Small Medium Big Bigger
  • Default Helvetica Segoe Georgia Times

Dans une lettre adressée à Sassou, Benoît Moundélé Ngolo écrit : « Je suis convaincu que ce que je vous suggère de faire vous grandira aux yeux du monde international et national, donc que ce qu’on vous propose de faire, à savoir changer ou réviser la constitution de 2002 pour vous permettre de briguer un troisième mandat en 2016 ne me donne pas la conviction d’être une bonne proposition car elle comporte trop de risques dangereux - y compris des risques de sang – qu’il convient de ne pas prendre, de mon point de vue ».

« Blague à part, toute vérité est bonne à dire »  (1), le nouvel livre de Benoit Moundélé Ngolo, c’est  l'histoire d’une évocation narrative. A travers des lettres  réelles ou fictives, adressées aussi bien à des morts qu’à des vivants, à ses parents et enfant, l’auteur, après une vie publique bien remplie esquisse une réflexion sur l’amitié, sur le pouvoir mais aussi sur sa jeunesse, bref sur la société congolaise et sur la vie.

Sur l’amitié entre Moundélé Ngolo, enfant mbochi du nord du Congo né à Tsambitso en 1943 (eh oui ! le village n’est pas un lieu imaginaire, il existe) et Godefroy Madingou, fils d’un riche menuisier et commerçant de Hamon Madzia (Pool), l’auteur, au travers d’une lettre qu’il adresse à son ami défunt se rappelle que leurs liens se sont noués sur les bancs de l’école, au collège Chaminade au milieu des années 50. Par la suite, leurs chemins se sépareront quand lui ira suivre une formation militaire en Ukraine alors que Matingou est admis à l’Ecole spéciale militaire de Saint Cyr Coëtquidam en France. Les deux amis se retrouvent plus tard dans l’armée  congolaise, à la fin de leur formation. Leur amitié survivra à la guerre de 1997, même si Godefroy Matingou est contraint à l’exil alors que Moundélé Ngolo restera au Congo, après la victoire militaire de Sassou, son frère du Nord. Matingou décèdera dans son exil canadien et indiquera dans son testament sa volonté d’être incinéré dans ce pays. Quand son ami l’apprend par la cousine du défunt il s’écrit : « God ne peut pas nous faire ça ! Il faut que God revienne ici au Congo. Ne peut-on pas vraiment faire autrement ? Que nous lui avons-nous fait ou plutôt que t’ai-je fait God ? ». 

Des questions demeurées sans réponse. Même pas, au hasard, celle de savoir pourquoi celui dont on s’accordait à reconnaître qu’il était un brillant officier soit resté colonel des années durant alors que lui, Moundélé Ngolo, est devenu général de division…

Ou bien la question du passage de ce dernier au ministère des Travaux publics pendant une décennie. Quand on lui prêtait alors la réputation de s’être enrichi à outrance à la faveur des grands chantiers de la route du nord. L’auteur n’en souffle mot. Ou plutôt si. Il reconnaît avoir quand même volé : «  Je n’ai pas tué quelqu’un, homme ou femme. Par contre voler, oui, je l’avoue, j’ai volé pour avoir chipé quelques hosties non bénites quand j’étais servant à la messe à Sainte-Radegonde. Ainsi qu’à l’internat, au Lycée Chaminade ». Amen.

S’agissant de son cursus scolaire Moundélé Ngolo fait montre de franchise. Il ne dit pas comme Sassou, né théoriquement la même année que lui, avoir été victime d’une quelconque discrimination ou d’un quelconque tribalisme des autorités de l’époque. S’il n’a pas suivi d’études supérieures c’est parce que, volontairement, tout bon élève qu’il était, il a « refusé de passer [son] deuxième bac », préférant intégrer la société AGIP, puis l’ONPT avant de s’engager dans l’armée.

La lettre en réponse que le défunt Matingou Godefroy lui adresse du paradis où il se trouve vaut le détour. Ainsi  ce dernier donne-t-il ce conseil à son ami : « Extirpe-toi définitivement, je t’en prie, du sérail de ceux qui aiment faire le mal, en amassant fortune sur fortune pour vivre sur terre. Parfois en se baignant du sang des innocents ».

Matingou, de là-haut lui révèle également qu’ « au bout du paradis, loin, très loin on entend des cris horribles, des lamentations éternelles des habitants d’un lieu qu’on appelle Enfer ». Un endroit peuplé  « d’humains qui ont fait bombance sur terre après avoir amassé fortune sur fortune dans le sang des autres. Des personnes qui répliquaient « le ciel ne tombera pas »…

Dans une lettre à Camille Bongou, Moundélé Ngolo revient à sa façon sur « l’insurrection armée manquée du 22 février 1972 qui a été travestie et noyée dans les mensonges, défigurée  par des contrevérités qui nous ont diabolisés », alors que « nous n’avons tué personne, à part Moussa Eta, qui était tombé arme à la main, dans une confrontation rangée (qu’il repose en paix) pendant que nous avons connu la perte de compagnons, Franklin Boukaka, Elie Itsouhou, Prosper Matoumpa Mpolo, les sergents Olouka et Bakékolo, les lieutenants Ange Diawara et Jean Baptiste Ikoko ainsi que d’autres camarades ».

A célestin Goma Foutou, ancien ministre, officier instructeur politique de l’armée devenu pasteur de l’Eglise protestante, Moundélé Ngolo prend également prétexte d’une lettre pour réfléchir sur  la question de Dieu et autres questions existentielles.

D’autres lettres sont également adressées notamment à Atondi Leca Monmondjo, à Henri Lopès, à Henri Djombo.

La lettre adressée à Sassou Nguesso, elle, est réelle : elle est datée  du 4 avril 2014.

Moundélé Ngolo y écrit  notamment : « Selon moi donc, il vous faudra choisir et préparer un Congolais de votre confiance qui se présentera aux élections présidentielles de 2016. J’ai la conviction que si le choix est bien fait par vous, ce citoyen sera élu président de la République sans coup férir. Cela sera fait. Sa première mission sera l’élaboration pour approbation par référendum d’une nouvelle constitution (…) Pendant la durée du prochain mandat présidentiel qui commencera en 2016 avec un autre président, je vous suggère de prendre en mains vous-même la direction et l’organisation du PCT votre parti politique, dans le but de vous présenter à l’élection présidentielle qui sanctionnera la fin du mandat de 2016  si le cœur vous en dit. Je ne sais pas pourquoi, j’ai la conviction que vous serez élu de nouveau. Ce faisant, j’ai en tête l’exemple de M. Vladimir Poutine en Russie (…) Je suis convaincu que ce que je vous suggère de faire vous grandira aux yeux du monde international et national, donc que ce qu’on vous propose de faire, à savoir changer ou réviser la constitution de 2002 pour vous permettre de briguer un troisième mandat en 2016 ne me donne pas la conviction d’être une bonne proposition car elle comporte trop de risques dangereux - y compris des risques de sang – qu’il convient de ne pas prendre, de mon point de vue ».

Fermez le ban ! Pourquoi le pouvoir devrait-il quitter pour longtemps la Cuvette centrale, et surtout les mains de Sassou alors qu'il s'y trouve très bien, tel un gibier dans le filet ?

Sur la question nationale  et sur lui-même Moundélé Ngolo apprend à ses lecteurs les faits suivants : « Je me suis marié deux fois avec des filles du Pool, la première est une Bakongo du district de Boko, la deuxième est une bahangala (Adelaïde Moughani ndlr) du district de Mindouli. Pour avoir des enfants citoyens, soit mbochi-Bakongo d’une part, soit mbochi-bahangala d’autre part. Les deux mariages n’ayant malheureusement pas tenus pour diverses raisons. J’ai malgré tout réussi dans mon projet puisqu’avec les deux femmes j’ai dix enfants ».

Au total, « Blague à part », le livre de Moundélé Ngolo est un livre plaisant qui se lit facilement. Acteur, mais aussi observateur de la société congolaise, l’auteur a essayé d’en relever certains maux qui la minent et qui ont pour noms : la corruption, le mensonge, les intrigues du pouvoir... De ce point de vue, l’exercice est assez réussi.

(1)

  • Auteur : Moundele Ngolo, Benoit
  • Editeur : Harmattan
  • Collection : Harmattan Congo
  • Date de parution : 02/11/2015
  • Pour l'acheter