Générations sacrifiées. Ils sont des centaines de milliers de jeunes nés sous le règne Sassou, lequel cumule à lui tout seul déjà près de 45 ans au pouvoir. Des jeunes auxquels le vieux dictateur congolais n’a jamais pensé offrir un tant soit peu un tout petit avenir pour s’accomplir dans la vie
Générations sacrifiées. Ils sont des centaines de milliers de jeunes nés sous le règne Sassou, lequel cumule à lui tout seul déjà près de 45 ans au pouvoir. Des jeunes auxquels le vieux dictateur congolais n’a jamais pensé offrir un tant soit peu un tout petit avenir pour s’accomplir dans la vie.
Privés d’instruction, d’école, de formation, de boulot et de futur. Quatorze mille milliards de francs CFA, de l’argent des générations futures, prétendument placé en banque, à l’époque où le baril du pétrole atteignait les sommets, a été purement et simplement dilapidé. Résultat : les jeunes sont sur le carreau. A 15, 20, 25, 30 ans, ils se tournent les pouces et vivent encore chez leurs parents. Faute de perspectives ils ne réfléchissent qu’aux moyens de se payer des passeurs, par exemple à vendre terrain et maison de leurs parents, pour quitter ce « pays de merde » (selon l’expression prêtée à Donald Trump) et accomplir leurs rêves. C’est ainsi que certains d’entre eux risquent d’aller mourir dans la Méditerranée, à la recherche d’une vie meilleure en Europe. D’autres jeunes, ceux qui restent sont tentés de basculer dans la délinquance et le crime en bande organisée, semant la terreur sur toute l’étendue du territoire.
Les Congolais appellent ceux-ci les « bébés noirs ». Ils font la loi, quand ils veulent et où ils veulent. Pas un seul jour ne passe sans qu’on apprenne des meurtres, dans la rue ou au domicile de leurs victimes. Armés de machettes, marteaux, couteaux., ils n’hésitent pas à donner la mort gratuitement, plongeant les Congolais dans l’effroi.
Face à un Etat défaillant, Sassou étant plus préoccupé à signer des accords militaires et de cession des terres congolaises aux Rwandais de Paul Kagamé, dans le seul but de léguer son trône au fiston, les bébés noirs ont le champ libre. Alors ils tuent, y compris des militaires et des policiers, en civil comme en tenue, ceux-là même qui sont censés assurer le maintien de l’ordre et la protection des populations.
Dernier épisode en date à Talangai, quartier nord de la capitale, ces derniers jours, un colonel a été pris en chasse par les bébés noirs. Au terme d’une course poursuite haletante d’environ un kilomètre, l’officier n’a eu la vie sauve qu’en se réfugiant chez un habitant où il s’est caché jusqu’au matin.
A Moukondo, autre quartier de Brazzaville, un policier rentrant chez lui a croisé sur son chemin une horde de bébés noirs qui voulaient en finir avec lui. Il a dû supplier ces derniers de le laisser en vie, contre la modique somme de 50.000 francs CFA (76 euros).
Face à ce phénomène d’insécurité grandissante, la dictature de Sassou manifeste la plus grande indifférence.
Friand de slogans, et histoire de noyer le poisson, il a décrété en janvier dernier, lors de ses « Vœux à la Nation », l’année 2004 comme « année de la Jeunesse ».
Nous sommes presque au milieu de l’année 2004, pas un emploi créé, sinon les recrutements dans l’armée, d’ailleurs mortels (40 jeunes morts en novembre 2023 dans une bousculade survenue la veille lors d'une opération de recrutement de l'armée à Brazzaville, au stade d’Ornano).
Qu’attendre d’ailleurs d’un pouvoir sous l’empire duquel, en plus de quarante ans, aucune société, ou presque, viable et bénéficiaire, à part peut-être la Morgue de Brazzaville, n’a été créée ni n’existe ? La SNPC, société pétrolière, est subventionnée par l’Etat. Ecair, la société aérienne, a mis la clef sous la porte… La liste est longue.
Résultat des courses : les diplômés sont sans emploi, l’Université est une usine de fabrication de futurs chômeurs. Bref, le pays se trouve face à une jeunesse désœuvrée, fruit d’une politique désastreuse en la matière.
Face à cette insécurité rampante, la population, abandonnée, se fait justice : elle tue ces hors la loi, les brûlants même vifs. Malgré cela, le phénomène ne s’estompe pas.
Il y a quelques mois, Hydevert Moigni, homme lige de Sassou, ancien cobra, tristement connu des Congolais pour ses crimes de sang, est sorti de sa réserve et a osé rompre l’omerta. Se croyant à l’abri, en sa qualité de député, certes nommé, le sieur Moigni, dans une vidéo privée, qui s’est retrouvée à son corps défendant sur les réseaux sociaux, est monté au créneau pour dénoncer le phénomène bébés noirs en ces termes : « NON à la République de camaraderie, non à la République du copinage, halte aux détournements sauvages…Le pays va mal…le peuple est en insécurité…Le peuple souffre…Et l'insécurité n’a pas de nom, n’a pas de région, ni de tribu. La machette ne choisit plus…L'insécurité est devant nos portes...ça a commencé comme ça à Haïti, je ne veux pas que mon pays ressemble à Haïti. Je ne veux pas que mon pays soit un deuxième Haïti…Le moi est haïssable, je ne veux parler de moi, je veux parler de ce que les gens subissent...Le Congolais aujourd'hui aiment les gens idiots, bêtes, facilement manipulables. C'est ce qu'ils veulent...moi je les ai observés…Ce n'est pas moi qui donne les machettes aux bébés noirs, ce n'est pas moi qui nomme les gens qui détournent l'argent à longueur de journée, ce n'est pas moi qui...J’ai dit ce que tous les Congolais pensent...Le peuple est dans l’insécurité, le peuple souffre…NDENGUET, MBOULOU et OBARA doivent être virés à cause de l’insécurité qu’ils n’arrivent pas à endiguer. »
Un péché de lèse-majesté aux yeux de Sassou et des barons de son régime. Depuis, celui qui ne jurait que par le nom de son saint patron, croupit en taule, à la Maison d’arrêt de Brazzaville. Sans procès ni aucun jugement.
Voilà comment le Grand chef remercie ses fervents serviteurs. Quand ces derniers sont chanceux, ils vont séjourner au gnouf. Comme quoi pour faire tomber la fièvre le camarade président casse le thermomètre !
Jean Claude Nzolani.