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Congo Brazzaville : deux ans de détention arbitraire

politique
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Au Congo, l’injustice, la violation des droits de l’Homme, les crimes politiques et économiques commis par le régime en place se nourrissent de l’ignorance, de l’indifférence et de l’apathie des Congolais. Pour tout dire les Congolais, par leur silence encouragent les crimes, se rendent complices.

 

A l'audience de l'affaire Jean-Martin Mbemba qui s'est terminée  devant la Cour suprême, on a appris que des hommes, des pères de famille croupissent en prison, pour rien, depuis deux ans, sans qu’ils n’aient jamais été entendus par un juge. On détourne la tête, personne n’y prête attention : ni les organisations des droits de l’Homme, ni la société civile, ni le barreau congolais et encore moins les magistrats. Parce que Sassou a décidé. Et quand Sassou a décidé il a raison, on ne peut rien faire, la justice c’est lui et son oncle ministre de la Justice. C'est la peur dans le pays. Jusqu'à quand ?


Congo Brazzaville : deux ans de détention arbitraire

 

Dominique Inchauspé

Avocat au barreau de Paris

 

 " Deux ans de détention arbitraire pour le colonel Jean-Claude Mbango, l'adjudant Isamël Mabarry et l'huissier Samba Moutou ! ", c'est ce que le bâtonnier Hervé Ambroise Malonga de Brazzaville, maîtres Edouard Maboya Nganga de Pointe-Noire, Richard Bondo de Kinshasa et un avocat de Paris n'ont cessé de répéter sur tous les tons, avec tous les arguments, avec chacun son éloquence particulière mais véhémente, forte, passionnée... Le 9 juin 2015, deux heures durant, les avocats ont martelé leurs arguments devant la Cour Suprême du Congo avec cette conclusion: mise en liberté immédiate de leurs clients.

Il faut dire que la chambre d'accusation de la cour d'appel de Brazaville, qui avait rejeté en octobre 2014 la demande de mise en liberté des inculpés, avait écrit elle-même dans son arrêt que leur détention était irrégulière ! Mais plutôt que d'ordonner la mise en liberté immédiate, elle avait renvoyé le dossier au Doyen pour qu'il régularise l'irrégularité...

Le magistrat va avoir du mal à obéir à cette injonction. Le colonel Mbango et l'adjudant Mabarry ? Ils n'ont jamais vu un juge depuis leur arrestation par la Direction Générale de la Surveillance du Territoire (DGST) en avril 2013. Deux ans sans voir un juge... Or, la loi au Congo fait obligation que toute personne arrêtée soit présentée à un magistrat dans un délai maximum de 72 heures. Sinon, dit l'article 108 du Code de procédure pénale, la personne est "considérée comme arbitrairement détenue." Donc: libération immédiate de MM. Mbango et Mabarry.

Samba Moutou? L'avocat de Paris précise à la Cour Suprême, sur interpellation du Président, que leur client a, lui, vu un juge en juin 2013 et quel magistrat! Le Doyen des Juges d'instruction du tribunal de grande instance de Brazzaville. Le Doyen inculpe alors Samba Moutou le 21 juin, deux mois après son arrestation, pas 72 heures, non: deux mois. Donc, de toute manière, Samba Moutou était déjà en détention arbitraire à cette date: il devait être libéré. Mais non, le Doyen des juges le place quand même en détention provisoire!

Au Congo, cette détention provisoire, c'est 4 mois + un seul renouvellement possible de 2 mois maximum. "Six mois, c'est six mois, la détention provisoire au Congo.", martèlent tour à tour Mes Malonga, Maboya, Bondo et l'avocat parisien. Or Samba Moutou est en prison depuis près de deux ans depuis qu'il a vu le Doyen... Sans compter, bien entendu les deux premiers mois à la DGST où il est tellement battu que, encore aujourd'hui, il perd du sang. Les avocats l'ont trouvé allongé sur un matelas dans la cour de la prison, il y a quelques jours encore. Me Maboya montre à la cour le pantalon taché de sang séché de son client.

Et il martèle, il scande: "La torture est une ignominie. Elle déshonore la Justice. Elle nous déshonore." Et de citer la Constitution du Congo, son article 7: "La personne humaine est sacrée et a droit à la vie." et l'article 9: "Tout acte de torture, tout traitement cruel, inhumain ou dégradant est interdit." Donc: libération immédiate de Samba Moutou.

Me Richard Bondo s'est levé à son tour. Il plaide de sa voix ample, droit devant lui, avec si peu de gestes qu'on le croirait immobile, ce Commandeur de l'Autre rive (du fleuve Congo). Il rappelle aux juges leur fonction première : être vu par les justiciables comme Dieu entre les mains duquel nous nous remettons tous. Il cite un ouvrage écrit par son confrère de Paris: "Une telle culture conduit les citoyens à placer la justice bien au-dessus d'eux. Ils sont devant elle comme des croyants devant leur dieu: implorants, suppliants, attendant tout de lui, incapables d'en accepter autre chose que la perfection. (...)."

Alors, Me Richard Bondo entreprend de rappeler à la Cour suprême qu'elle doit être Dieu, qu'elle se doit d'être parfaite et ici, cela veut dire: libération immédiate de MM. Mbango, Mabarry et Samba Moutou.

L'avocat français reprend la parole. Il expose que la Cour de cassation à Paris interprète les textes communs au Congo et à la France de la façon dont ses confrères des deux Congos, du Kongo, les présentent depuis deux ans: pas de titre de détention? Libération immédiate. Quant à la constitution du pays, par deux fois, elle affirme: nul ne peut être arbitrairement détenu. Libération immédiate.

Le bâtonnier Malonga qui avait débuté, conclut: pour lui, cette affaire, c'est l'occasion de mettre à plat le fonctionnement de la justice au Congo, ses arrestations arbitraires, ses détentions inhumaines, les tortures, les faux aveux, les détenus oubliés dans les prisons, etc. Il exorte la Cour suprême à avoir le courage d'un tel questionnement. Il sait de quoi il parle: lui-même a été incarcéré dans la même prison que ses clients et de façon tout à fait arbitraire à deux reprises pendant plusieurs mois.

Et l'accusation, l'avocat général, le parquet, que disent-ils? "Il manque 20.000 francs CFA ." (30 euros) La thèse est la suivante: le Code de procédure pénale dispose que chaque 'demandeur à un pourvoi' -comprendre: les personnes qui font appel devant la Cour suprême- doit consigner 10.000 francs CFA. Ici, il y a trois 'demandeurs' -MM. Mbango, Mabarry et Samba Moutou-, donc il fallait consigner 30.000 francs CFA . Or, seuls 10.000 francs ont été versés parce qu'une seule déclaration de pourvoi a été faite réunissant les trois détenus. Oublié les questions de principe, la détention arbitraire, la torture, etc.; voilà la comptabilité de l'épicier: c'est le seul argument de l'accusation!

Le bâtonnier Malonga s'est levé à nouveau. Il rappelle que, dans le dossier du Beach, (plusieurs centaines de personnes disparues en 1999 et sans doute éliminées sur ordre d'officiels du régime), il avait fait une seule déclaration de pourvoi rassemblant 85 noms et n'avait versé que 10.000 francs CFA. Aucune difficulté ne s'était posée. Le président demande alors que cette jurisprudence lui soit remise. Puis, les autres avocats ajoutent leurs propres arguments. Et puis, si on veut faire du droit, il y a encore un arrêt de la chambre administrative de la Cour suprême de 2014 qui affirme que 10.000 francs suffisent quel que soit le nombre des 'demandeurs'. Alors?

Mais l'avocat général parle à nouveau: la Cour suprême, en acceptant les pourvois dans l'affaire du Beach pour 10.000 francs CFA tout ronds, a violé la loi... Oui, l'avocat général a bien dit ce lundi 8 juin 2015 à la Cour suprême du Congo qu'elle avait violé la loi il y une dizaine d'années. Stupéfaction puis grincements respectueux sur le banc de la défense. Le Président vole au secours de l'avocat général: "C'était un lapsus." La défense s'est levée; elle veut faire noter que l'avocat général a aussi dit que, dans les arguments des avocats des inculpés sur la détention arbitraire, il y a des choses très sérieuses.

Le délibéré est fixé au 16 juin: une semaine à peine après les débats, ce n'est pas bon signe. Me Maboya dépose les jurisprudences au greffe de la cour. Le 16, la cour rend son verdict en 2 minutes: déchéance du pourvoi.

Au Congo, deux ans de détention arbitraire et des tortures ne valent même pas 30 euros (20.000 francs CFA).

© Le HuffPost

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